MOBILITÉ DES FEMMES : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SÉCURITÉ!
La mobilité partagée est un vecteur unique d’opportunités. Aussi bien sur le plan économique que social, plus il est facile de se déplacer, plus les populations locales en bénéficient. Malheureusement, pour plus de 50 % de la population mondiale, les transports sont synonymes de sérieux inconvénients.
Garantir aux femmes l’accès à une mobilité partagée sûre et inclusive devient peu à peu une priorité pour les décideurs politiques, les urbanistes et les responsables des transports. Des institutions comme la Banque mondiale et l’ONU Femmes étudient activement le problème et proposent des recommandations basées sur le lien entre genre et mobilité. Car le sujet dépasse largement la question des transports : il ne s’agit pas simplement de faciliter le déplacement, mais d’égalité et de progrès social.
DES SCHÉMAS DE DÉPLACEMENT DIFFÉRENTS
Le débat reste ouvert pour savoir si les hommes et les femmes viennent de planètes différentes, mais une chose est sûre : leurs habitudes de déplacement ne sont pas les mêmes. Les femmes, par exemple, doivent souvent concilier vie professionnelle et responsabilités domestiques et familiales, ce qui implique de multiples trajets dans une même journée. Cette réalité se complique sensiblement quand on dépend des transports collectifs, ce qui est le cas de la plupart des femmes, surtout dans les milieux modestes. En France, les deux tiers des passagers sont des femmes(1); elles sont 50 % en Amérique latine et aux Caraïbes(2), et 55 % aux États-Unis(3). En Inde, les passagères empruntent des transports collectifs, semi-publics ou non motorisés pour 84 % de leurs trajets(4).
Pour autant, la non-inclusivité des transports et la sécurité plus qu’approximative à bord constituent pour les femmes de véritables freins à l’accès à l’emploi, selon l’Organisation internationale du travail (Tendances de l’emploi des femmes 2017).
En France, d’après une étude de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) sur le harcèlement sexiste et les violences faites aux femmes dans les transports publics, seulement 19 % des femmes déclarent que leur utilisation des transports n’est pas influencée par le phénomène du harcèlement. « L’insécurité, la crainte d’être agressées – que ce soit à bord des transports, en s’y rendant, en en sortant, ou en attendant à un arrêt de bus ou sur un quai – diminue sérieusement leur attrait, et peut donc limiter leur utilisation », souligne un rapport sur la mobilité dans le monde publié par Sustainable Mobility for All (SuM4All), une initiative de la Banque mondiale.
DES RISQUES QUOTIDIENS
Suivies, visées par des gestes ou des remarques désobligeants ou même agressées, les femmes sont bien plus exposées à la violence que les hommes. Le problème est global et les espaces où les passagères peuvent en être victimes au cours de leur trajet sont nombreux. En 2015, un rapport français de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales constatait que 220 000 femmes avaient été harcelées sexuellement dans les transports en commun dans l’année, selon une estimation qualifiée de « prudente ».
Une étude de la FNAUT conduite en Île-de-France indique par ailleurs que c’est dans les transports collectifs – y compris les gares – que se concentrent la plupart des agressions sexuelles à l’encontre des femmes (39 % de la totalité des attaques signalées).
Et ce sont souvent les déplacements en heures creuses, notamment tôt le matin ou tard le soir, qui présentent le plus de problèmes de sécurité. D’autres communautés sont aussi régulièrement la cible de harcèlement genré et sexuel. Au Royaume-Uni, le nombre de victimes LGBT+ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres/transsexuels et plus) dans les transports a triplé au cours des cinq dernières années(5).
DES ESPACES PLUS SÛRS
Pour réduire le risque, de nombreuses initiatives visent à améliorer les infrastructures et la gestion des transports ; repenser les aires d’attente, veiller au bon éclairage des chemins d’accès notamment. La ponctualité permet également de réduire le temps d’attente et donc l’exposition à l’insécurité. En d’autres termes, elle a un réel impact sur la sécurité des passagers. Un rapport de la Banque interaméricaine de développement (BID) souligne ainsi qu’en Amérique latine, la diminution des retards et des embouteillages réduit la probabilité qu’une femme soit victime d’un crime. L’adaptation des offres de mobilité aux heures creuses est tout aussi essentielle. Étendre la disponibilité du service le soir et le week-end évite en effet des temps d’attente trop longs dans des stations désertes ou peu éclairées – autant de conditions propices aux agressions.
À Quito (Équateur), dans le cadre du programme « Villes Sûres » de l’ONU Femmes, des agents ont découvert que 84 % des femmes considéraient les transports en commun comme dangereux du fait des violences sexuelles. La ville a alors proposé un plan d’intervention pour combattre le problème sur tous les fronts : mise en conformité des arrêts de tramway avec les nouvelles normes de sécurité, formation de 600 opérateurs à l’assistance aux victimes, extension de la surveillance de la délinquance et de la violence, mise à disposition d’une application pour signaler les cas de harcèlement sexuel par SMS, campagne de communication, prévention dans le cadre scolaire, etc. En 2016, Quito a qualifié le programme de « projet emblématique et hors normes », et s’est engagé à le poursuivre.
Des compartiments réservés aux femmes ont été mis en place dans plusieurs pays tels que le Japon, l’Inde, le Brésil, l’Égypte et le Mexique. Mais pour certains, cette solution s’attaque aux symptômes et non au problème, tout en perpétuant l’idée que les femmes sont vulnérables. Lizzette Soria, du programme « Villes Sûres » de l’ONU Femmes, juge par exemple que les bus non mixtes en Papouasie–Nouvelle-Guinée sont une « stratégie à court terme, car notre objectif à long terme est de rendre les transports collectifs sûrs pour tous les passagers ».
DES SOLUTIONS TECHNOLOGIQUES
Bien sûr, la technologie a également un rôle à jouer à plusieurs niveaux. En Inde, grâce à l’application Safetipin, les femmes peuvent consulter facilement les évaluations des différents lieux publics en matière de sécurité. Au Caire, le site HarassMap génère des cartes regroupant des cas de harcèlement signalés par les citoyennes et les citoyens. Le résultat ressemble à GoogleMaps : chaque point représente un signalement, et un clic donne accès à davantage d’informations. L’aperçu, facile à utiliser, aide les passagers à choisir l’itinéraire le plus sûr. À Singapour, grâce à Justshakeit, il suffit de secouer son téléphone pour envoyer une alerte à la police, aux membres de sa famille et à son médecin.
Face à la problématique du faible taux de signalement, la technologie démontre une nouvelle fois sa pertinence. Les causes principales du non-signalement des cas de harcèlement sont la difficulté à identifier les auteurs et le manque d’informations sur le lieu, le délai et la procédure à suivre pour déposer plainte. En 2012, Londres a mené une étude montrant que seule une passagère sur dix était disposée à signaler un cas de harcèlement sexuel. Les autorités ont donc lancé l’initiative « Report It to Stop It » (« Signalez-le pour y mettre fin ») qui donne aux passagères plus de moyens de déclarer les incidents : en personne, par téléphone et même par SMS. Depuis le lancement du programme, en 2014, la police londonienne des transports a reçu 65 000 signalements par SMS (6).
COMBINER LES APPROCHES
Les stratégies les plus efficaces appréhendent le problème de façon globale. Car les efforts des pouvoirs publics pour lutter contre le harcèlement et améliorer la sécurité des femmes dans les transports s’inscrivent également dans le cadre plus large de l’égalité des genres.
« Nous devons nous pencher sur plusieurs facteurs à la fois : la technologie peut certes jouer un rôle important, au même titre que la conception d’infrastructures et de services, mais il est également crucial d’impliquer les femmes, les jeunes filles et la communauté en général. Il faut penser ensemble des systèmes qui amèneront un changement de comportement, car c’est une partie intégrante du problème », explique Pierre Guislain, vice-Président en charge du secteur privé, de l’infrastructure et de l’industrialisation de la Banque africaine de développement.
Prendre en considération les besoins et le point de vue des femmes est une première étape essentielle. À Toronto (Canada), des consultations et des projets menés avec des collectifs de femmes se sont révélés productifs. Grâce à une collaboration efficace entre les acteurs des transports, la police et les communautés locales, des audits de la sécurité des infrastructures de transport de la ville ont pu être menés. Ils ont permis plusieurs aménagements favorisant la sécurité, comme la conception de zones d’attente dédiées ou de solutions d’arrêt à la demande. D’autres organisations (voir « Sessions de sensibilisation au sexisme à Delhi » et « Australie : plus de femmes dans le personnel ») ont proposé des modules de sensibilisation aux questions de genre pour les conducteurs et les conductrices et augmenté le nombre de femmes dans les postes liés aux transports.
LE RÔLE DE LA COMMUNAUTÉ
Améliorer la sécurité publique donne de meilleurs résultats lorsque le public est impliqué dans la prise en compte et la résolution des problèmes, et le personnel de transport correctement formé pour les combattre. Afin d’amplifier la lutte contre le harcèlement, les autorités et les militants locaux recourent aux moyens traditionnels – affiches, publicités et stands d’information – et aux outils numériques, comme l’application Hawk Eye (Œil de faucon) de la police d’Hyderabad (Inde), qui permet à tous de signaler les agressions sexuelles. L’utilisation des réseaux sociaux par le grand public peut également jouer un rôle essentiel. Après tout, l’une des meilleures manières de faire réagir est de susciter le buzz. L’ONU Femmes et le gouvernement de Mexico l’ont bien compris. Pour leur campagne sur le harcèlement sexuel dans le métro, ils ont fabriqué des sièges en forme de corps masculins, pénis inclus. L’opération n’a pas manqué d’attirer l’attention des voyageurs et des réseaux sociaux. L’objectif de ces campagnes est d’encourager chacun à contribuer au changement des attitudes et des comportements.
S’engager pour des transports sûrs et durables ne profite pas seulement aux femmes, mais à tout le monde. Le défi est collectif. Impliquer les passagers, et particulièrement les passagères, contribue à façonner des services qui améliorent l’accessibilité, réduisent les inégalités et créent de meilleures conditions de transport pour chacun.
(1) Gender Equality Initiatives in Transportation Policy, Yael Hasson et Marianna Plevoy, juillet 2011.
(2) InterAmerican Development Bank The Relationship between Gender and Transport, Isabel Granada, 2016.
(3) Demand for Public Transport in Germany and the USA: An Analysis of Rider Characteristics, Ralph Buehler et John Pucher, 2012.
(4) Sondage. B-28 « Other Workers » By Mode of Travel to Place of Work (« Autres travailleurs·ses » par mode de déplacement vers le lieu de travail). New Delhi: Office of the Registrar General & Census Commissioner Inde, 2011.
(5) FNAUT, « Harcèlement sexiste dans les transports collectifs routiers et les pôles d’échange multimodaux », Christiane Dupart, 2017.
(6) Données de la British Transport Police, 2013-2018, obtenues grâce à une requête d’accès aux documents administratifs (loi sur la liberté d’information).
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